S’exprimer malgré un vocabulaire mouvant et construire un consensus sémantique entre les milieux

 

Les préoccupations environnementales se font plus pressantes et les entreprises et gouvernements sont encouragées à déclarer leurs objectifs d’émissions de gaz à effet de serre.

Cet afflux soudain d’acteurs qui abordent le sujet des émissions et de la neutralité carbone avec des objectifs différents entraîne des utilisations parfois contradictoires des différentes nuances de ce champ sémantique. Le vocabulaire défini par différents organismes fournit des outils pour distinguer les termes suivants entre eux :

      • NetZero
      • Neutralité climatique
      • Neutralité GES
      • Neutralité carbone

L’utilisation de ces termes dans les publications académiques, industrielles et médiatiques diffère souvent de leur sens rigoureux pour satisfaire différents objectifs : simplification de la compréhension du lecteur par l’assimilation de plusieurs notions, engagement ambigu ou trompeur, ou confusion involontaire.

Le budget carbone restant si l’on souhaite avoir une chance de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C par rapport à l’ère pré-industrielle est passé sous la barre des 400 GtCO2e, selon le dernier rapport du GIEC publié en Mai 2021. Cela correspond à moins de 10 ans d’activités industrielles au rythme mondial actuel.

 

Dès 2014, le GIEC indiquait que le secteur de l’industrie était à l’origine d’environ un tiers (32%) des émissions de gaz à effet de serre (GES), appelant donc à remettre en cause de manière significative, la façon dont nous produisons, consommons et nous déplaçons. Cependant, l’industrie a également un rôle majeur à jouer afin de limiter et d’anticiper le plus possible les effets néfastes du changement climatique.

Face à ce défi, les organismes publics et gouvernementaux comme le secteur du privé s’engagent dans la lutte contre le changement climatique en se fixant des objectifs et en formulant leur trajectoire de réduction d’émissions GES, notamment au travers d’initiatives comme le SBTi ou ACT. Ils communiquent également sur l’état de leurs émissions à un instant donné, et vont jusqu’à assurer parfois que leurs produits ou services sont « neutres ».

Cet afflux soudain d’acteurs qui abordent le sujet des émissions et de la neutralité carbone avec des objectifs différents entraîne des utilisations parfois contradictoires des différentes nuances de ce champ sémantique. L’utilisation de ces termes dans les publications académiques, industrielles et médiatiques diffère souvent de leur sens rigoureux pour satisfaire différents objectifs : simplification pour une meilleure compréhension du lecteur en assimilant par exemple plusieurs notions, confusion involontaire, ou pire , engagement ambigu voire trompeur.

La Net Zero Initiative, portée par Carbone 4, a identifié dans l’introduction de son référentiel l’imprécision des termes utilisés pour les engagements environnementaux. La nécessité de les définir avec précision et de construire des normes y est clairement soulignée.

Nous étudierons ici les propositions de définitions de 3 documents : le glossaire du GIEC, le référentiel de la Net Zero Initiative, et la liste de vocabulaire de l’initiative de recherche interdisciplinaire de l’université d’Oxford : Oxford Net Zero.

Les publics visés sont ceux annoncés par les organismes eux-même. Ils sont dans les faits utilisés par un ensemble plus large d’acteurs, le GIEC restant l’organisme de référence de l’état actuel des connaissances scientifiques.

Nous avons choisi de comparer les termes fréquemment employés – et ce souvent de manière interchangeable – par les entreprises dans leurs communications environnementales dans le tableau suivant :

 

*Effets hors GES : le changement climatique peut être influencé par des effets distincts de l’effet de serre. Par exemple, le changement de l’albedo de la surface terrestre influence la quantité d’énergie renvoyée de la Terre par rayonnement.

 

 

Le GIEC et Oxford Net Zero proposent des définitions pour ces 4 termes, la Net Zero Initiative les traite comme équivalentes

Alors que le GIEC et Oxford Net Zero proposent des définitions distinctes pour chacun de ces 4 termes, la Net Zero Initiative suggère dans son introduction qu’ils sont équivalents. Cette opposition coincide avec les différents publics visés par ces organisations : les 2 premières visent les gouvernements et la dernière le secteur privé, qui est soumis à des contraintes de rentabilité et de compétitivité.

Nous avons soulevé ce point avec A. Pivin, Project Leader chez Carbone 4, qui explique que l’objectif de ce référentiel est de traduire la science du climat à l’attention des entreprises du privé de manière pédagogique, en prenant en compte les préoccupations des entreprises – notamment la croissance de l’activité – sans transiger sur la réalité physique des phénomènes abordés.

Cette approche a été développée en réaction aux éléments de langages des entreprises qui affirment atteindre une neutralité carbone grâce à des compensations, parce que cette approche ne permet pas de répondre à grande échelle aux enjeux climatiques : les quantités de GES disponibles pour la compensation sont très inférieures à la quantité de GES à compenser, il est donc illusoire de se satisfaire de cette approche pour atteindre une neutralité planétaire en 2050.

Pour un discours à l’attention d’entreprises privées, la question du détail des définitions de chaque mot n’est pas pertinente. Bien que le glossaire du GIEC soit la référence pour les nuances scientifiques dans ce domaine, ces notions peuvent freiner l’action lorsqu’elles ralentissent la compréhension.

A la place, le référentiel propose une direction pour que les actions des entreprises aient un impact concret sur le climat, et participent à répondre à l’objectif planétaire de neutralité GES.

 

 

La Net Zero Initiative restreint sa définition d’émissions « Net Zero » au dioxyde de carbone.

Nous émettons divers gaz à effet de serre (le protocole de Kyoto liste en plus du dioxyde de carbone le méthane, l’hexafluorure de soufre, le trifluorure d’azote, les hydrofluorocarbures et les chlorofluorocarbures) mais nous ne séquestrons que du dioxyde de carbone : atteindre une neutralité de gaz à effet de serre implique donc de pouvoir considérer que des absorptions de CO2 sont statisfaisantes pour contrebalancer des émissions de divers gaz.

Pour comparer un gaz à un autre, le concept de Potentiel de Réchauffement Global a été développé. Ce potentiel, qui permet d’exprimer tous les gaz à effet de serre dans une unité équivalente, est une valeur représentant la capacité du gaz à réchauffer le climat, et dépend de l’efficacité radiative du gaz (sa capacité à renvoyer de l’énergie vers la Terre) et de sa durée de vie dans l’atmosphère. Ainsi, les émissions de tous ces gaz sont ramenées au poids de dioxyde de carbone qu’il faudrait émettre pour avoir le même impact sur le climat.

Il existe cependant plusieurs méthodes de calcul pour le Potentiel de Réchauffement Global, selon la durée totale prise en compte dans le calcul. Aujourd’hui, la majorité des calculs d’empreinte carbone et normes de budget carbone utilisent le PRG100, soit le Potentiel de Réchauffement Global calculé sur 100 ans, c’est le cas par exemple de la Stratégie Nationale Bas Carbone française. Cette norme est critiquée, notamment par le Dr Michelle Cain (2018), parce qu’elle donne un poids important aux gaz à courte durée de vie tels que le méthane.

Ainsi, si l’esprit de l’objectif de la Net Zero Initiative est bien d’atteindre à terme une neutralité des gaz à effet de serre, soit un équilibre entre les émissions de GES et les absorptions de CO2, le référentiel de la Net Zero Initiative restreint le concept de Net Zero aux flux de CO2, parce qu’en pratique la définition des équivalences entre les différents gaz à effet de serre implique de faire une hypothèse, et donc peut porter à débats sur la réalité physique qui sous-tend le changement climatique.

 

 

La neutralité des gaz à effet de serre n’est pas suffisante pour arrêter le changement climatique

La neutralité carbone n’est donc qu’une partie la neutralité GES, et celle ci peut encore être étendue à la neutralité climatique, qui prendrait aussi en compte les effets hors gaz à effet de serre. Ces effets incluent l’albedo de la planète, soit la capacité de la surface terrestre à réfléchir l’énergie incidente, et les aerosols, qui sont de fines particules solides ou liquides en suspension dans l’atmosphère qui peuvent aussi influer sur le climat.

Pour la Net Zero Initiative, le concept de neutralité climatique est stricto sensu valable : à long terme, l’objectif est que l’activité humaine à l’échelle planétaire n’aie plus d’effet sur le climat. Dans la pratique, cet objectif est peu actionnable : dans la mesure ou une entreprise a une activité, elle a un impact sur le climat, et une compensation ne suffit pas à rendre cet impact nul.

Bien que les effets hors GES ne soient pas négligeables (les aérosols pourraient avoir un effet refroidissant de l’ordre de 0,8°C), cette approche n’est pas pertinente pour les entreprises, en particulier dans le contexte d’une technologie dont les effets en cascade sont mal maîtrisés. Ces effets sont donc considérés hors scope pour la Net Zero Initiative, mais restent un des facteurs de la modélisation à l’attention des gouvernements.

 

 

Le climat n’est qu’une partie de notre environnement

Enfin, si ces organismes se concentrent sur le climat, les limites planétaires définies par Rockström, J., Steffen, W., Noone, K. et al. (2009) impliquent un environnement plus large, incluant entre autres l’intégrité de la biosphère et l’acidité des océans. Il devient nécessaire de prendre en compte l’ensemble de ce système pour ne pas prendre des décisions ayant un impact positif sur le climat si elles sont néfastes pour l’ensemble de l’environnement.

Toutes ces nuances issues de ces organismes sont les conséquences de l’étude d’un système extrêmement complexe, mais pour lequel une action urgente est nécessaire. Il est fondamental d’exprimer de manière strictement scientifique des problèmes dont les ramifications sont multiples, tout en facilitant suffisamment la compréhension pour que les organismes publics et privés aient une direction claire à suivre pour répondre de manière pertinente aux enjeux environnementaux.

Les définitions des concepts de neutralité GES, neutralité carbone et neutralité climat font l’objet d’un consensus sémantique – même si leur pertinence dans la lutte contre le changement climatique est encore débattue – le concept de Net Zero est encore défini de plusieurs manières proches, mais diverses.

Ces définitions sont créées à l’attention de différentes audiences pour répondre aux objectifs pratiques de l’organisme émettant la définition, et il est plus urgent de favoriser la lutte contre le changement climatique avec des notions concernant directement les acteurs concernés que d’établir un consensus sémantique autour d’un terme aux utilisations multiples.

 

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eolos Contributors

    • Angele Bertin, Consultant and Carbon expert
    • Helene Isermeyer, Partner & Chief of Staff

 

With the kind support of Arthur Pivin from Carbone 4 & Henri Cuin, Co-founder of eolos

 

 

Sources

César Dugast (Avril 2020). Net Zero Initiative – Un référentiel pour une neutralité carbone collective (Pdf), ,https://www.carbone4.com/publication-referentiel-nzi

GIEC (2019). Climate Change and Land: an IPCC special report on climate change, desertification, land degradation, sustainable land management, food security, and greenhouse gas fluxes in terrestrial ecosystems [P.R. Shukla, et al., 2019]. Dans la presse.

GIEC (2019).: Annexe I: Glossaire. Climate Change and Land: an IPCC special report on climate change, desertification, land degradation, sustainable land management, food security, and greenhouse gas fluxes in terrestrial ecosystems ,https://www.ipcc.ch/sr15/chapter/glossary/ .

Oxford Net Zero (2021), What is Net Zero? https://netzeroclimate.org/what-is-net-zero/

Rockström, J., et al. (2009) : A safe operating space for humanity. Nature 461, 472–475

Allen, M.R., et al. (2018), npj Climate and Atmospheric Science, Article number : 16

IPCC, 2013: Summary for Policymakers. In: Climate Change 2013: The Physical Science Basis. Contribution of Working Group I to the Fifth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change [Stocker, T.F., et al.]. Cambridge University Press, Cambridge, United Kingdom and New York, NY, USA.

IPCC, 2014: Climate Change 2014: Mitigation of Climate Change. Contribution of Working Group III to the Fifth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change [Edenhofer, O., et al.]. Cambridge University Press, Cambridge, United Kingdom and New York, NY, USA.

Dr Cain, M. (2018): Guest post: A new way to assess ‘global warming potential’ of short-lived pollutants, Repéré à www.carbonbrief.org/guest-post-a-new-way-to-assess-global-warming-potential-of-short-lived-pollutants

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